Voici exactement trente ans que Pink Martini nous entraîne dans de grisants voyages, tout en swing et élégance. Né à Portland (Oregon) en 1994, le groupe américain est découverten France en 1997 après une invitation au festival de Cannes, pour un show case chic. Déjà, la voix de China Forbes infuse un charme kitsch, jazzy, dévoilé par Sympathique, un thème chanté en français avec un délicieux accent anglo-saxon et qui a donné son nom à leur
premier album. Thomas Lauderdale et China Forbes, les deux fondateurs de Pink Martini, ont des lettres : ils se sont rencontrés à Harvard. Lui étudiait la littérature en écoutant Poulenc, Bach,
Beethoven. Elle, les arts graphiques. China a une grand-mère française, il a une passion pour l'opéra. Sympathique, leur chanson parue en 1997, est inspirée d'un poème de Guillaume Apollinaire, naguère mis en musique par Francis Poulenc : « Ma chambre a la forme d'une cage/Le soleil passe son bras par la fenêtre/Mais moi qui veux fumer pour faire des mirages/J'allume au feu du jour ma cigarette/Je ne veux pas travailler je veux fumer ». Cet éloge de la paresse se teinte avec China Forbes d'un délicat dépit amoureux « déjà j'ai connu le parfum de l'amour... Je ne veux pas déjeuner, je veux seulement l'oublier ». Pianiste et directeur artistique de Pink Martini, le compositeur Thomas Lauderdale, fils
adoptif d'un pasteur gay, l'habille de nuances made in Paris.
Sous des dehors policés, subtilement démodée parfois, glamour toujours, la musique de Pink Martini respire l'humour et la fantaisie frondeuse. Le nom a été trouvé par Thomas Lauderdale, fan des films de Black Edwards, Diamants sur canapés, La Panthère rose, dont Henry Mancini a composé la B.O. Aimant les bars de nuit, Le musicien se glisse alors dans l'esthétique des cocktails. Rose panthère, et martinis on the rocks – vermouth blanc, olive, cubes de glace. Stylé James Bond. Au piano, Lauderdale réinterprète à sa sauce les grands classiques de la musique des années 1950 et 1960. Il pioche dans tous les continents, ou presque : ici une rumba, là une salsa, une samba, un chachacha, pourquoi pas une chanson française classique, un standard du jazz ou un boléro ? Intemporel, Pink Martini, entre reprises et compositions
originales, se chante en plus de vingt langues - français, anglais, italien, thaï, russe...Parolière et chanteuse, China Forbes peut user du vibrato à la manière d'Édith Piaf, adopter un ton coquet et chuchoté en japonais, réussir une série de micro-tons en arabe. Global, mais cultivant une rare intimité avec ses publics, Pink Martini a tout compris du monde contemporain.
Que les publicitaires s'en soient très vite emparés n'a rien de surprenant. En 1997, le « Je ne veux pas travailler » tombe dans l'oreille des créatifs chargés de la campagne de lancement d'un nouveau modèle de Citroën, la Xsara Picasso. Slogan : « L'imaginaire d'abord ». Sur une chaîne de montage glaçante, des robots fantaisistes se mettent à taguer des voitures en
voie d'assemblage. Depuis ce Sympathique a infusé la culture populaire hexagonale, jusqu'à figurer dans le Top 10 des chansons les plus chantées dans les manifestations de rue. On ne saurait réduire le succès du groupe à un tube – parce que Pink Martini, ce sont onze albums, sortis sur leur propre label, Heinz Records, une impressionnante succession de singles polyglottes. Pink Martini s'est déployé en un orchestre avec cuivres, congas, cordes,
danseurs... Avec des arrangements méticuleux, ensemble, ils ont créé un univers alternatif, et pop : Piensa en mi, Brazil, Una Notte a Napoli, des incontournables qui n'excluent pas les clins d'œil à Maurice Ravel ou Gene Krupa, Groupe à géométrie variable, Pink Martini a souvent invité des amis : un réalisateur (Gus Van Sant), un journaliste (Ari Shapiro), un gourou de la mode (Ikram Goldman), une activiste pour les droits civiques (Kathleen Saadat) et de nombreux musiciens et chanteurs, tel Jimmy Scott ou Rufus Wainwright. En 2011, China Forbes qui s'est cassé la voix, est un temps doublée par Storm Marge, rockeuse sexy. Depuis ses débuts avec l'Oregon Symphony en 1998, le groupe a joué avec plus de cinquante orchestres dans le monde entier, notamment avec le Los Angeles Philharmonic au Hollywood Bowl, le National Symphony au Kennedy Center, le San Francisco Symphony, le
BBC Concert Orchestra au Royal Albert Hall de Londres, des orchestres attachés à toutes ces salles prestigieuses où Pink Martini s'est produit. En France, leurs passages à l'Olympia,
au Grand Rex, dans les meilleurs festivals (Nuits de Fourvière, Jazz à Vienne...) confirment l'attachement du public à cette formation si singulière. Pink Martini est connu pour son engagement social et politique. Le groupe a participé à de
nombreux événements caritatifs et a travaillé avec des organisations telles que Planned Parenthood, le Conseil des réfugiés et le Fonds mondial de lutte contre le sida. Leur
musique a ainsi été utilisée dans des campagnes politiques, notamment pour soutenir les droits des LGBT.
Véronique Mortaigne