Un nouveau souffle libérateur. Un lâcher-prise salvateur. Il y a quelque chose de l'ordre de la détermination chez Eugénie.
Qui remet plaisir et spontanéité au cahier des charges de sa musique. Qui met en miettes les règles établies pour ne se soumettre qu'aux siennes. De la pop en liberté, multiple, sensible, fiévreuse, séductrice, cathartique. Moment in Time, comme une célébration du carpe diem. Comme un retour à l'insouciance aussi. Comme une acceptation du passé pour embrasser de beaux lendemains.
Et ce qui s'apparente dans le titre à un abandon, voire une planche de salut, se consume dans les chansons de ce deuxième EP. Mouvantes, introspectives, batailleuses, sophistiquées. Elles ont pour unique lien le hasard des circonstances et doivent leur existence à un seul frère de fortune : l'instinct.
Comprendre par là que la jeune parisienne de vingt-sept ans n'a plus envie de jouer à l'élève modèle ni d'être à la merci du regard d'autrui. Rappeler, dans le même élan, sa fonte dans les rouages d'une major en 2017. Puis son départ deux ans plus tard.
Trop indépendante d'esprit pour être cadenassée ou user de la compromission. D'autres repères ? Puis danse, mini-tube figurant sur son premier EP (cinq millions de streams et 1,2 millions de vues sur YouTube), une collaboration probante avec Elephanz sur le titre Maryland (certifié single d'or), l'engouement de marques telles que Chanel à son égard. Ou une visibilité d'estime sur quelques scènes allemandes.
Eugénie a donc préféré prendre la clé des champs mais n'a jamais rompu le lien ces dernières années avec sa communauté à cinq chiffres sur ses réseaux sociaux. Une boulimique créative, toujours en mouvement. Capable de s'emparer de succès français pour les emmener sur des rivages anglophones. Ou d'instaurer un concept intitulé «1minute2génie » où elle écrit la mélodie vocale et les paroles par-dessus le beat ou l'instrumentation qu'on lui envoie (le morceau Blue a notamment pris son impulsion à la suite de la réception d'une prod de David Spinelli).
Parce qu'elle a mûri, Eugénie ose une autre approche. Mais une chose est restée intacte : l'intensité dans laquelle elle s'investit dans chacun de ses projets.
Pointilleuse, jusqu'au-boutiste, clairvoyante. Et surtout libérée de la pesanteur. Six morceaux, six producteurs différents. La bascule en langue anglaise – ce qui ne signifie aucunement qu'elle renonce à sa langue maternelle pour le futur – pour mieux extérioriser et trancher dans le vif.
Valse des ambiances et d'idées toujours tournées vers des sonorités nouvelles. La cool girl signe là la bande originale d'émotions vives et d'images frontales. Blue ouvre cette voie transversale. Chanson bilan et de montagnes russes, faisant la part belle aux gimmicks mélodiques, cimentée par une identité esthétique travaillée (uniforme d'écolière, longues tresses et bottines). Elle y dompte avec panache un galop drum'n'bass et laisse entrevoir un flow percutant dont l'humeur nerveuse révèle toute la toxicité des doutes traversées. Même assise autoritaire sur 4D, sensuelle à souhait et qui sème le trouble d'un flirt virtuel sous la surveillance robotique et quasi-hallucinatoire des Rabbits. Il y a aussi la rythmique two-step frénétique de Tears for breakfast, morceau nourri de la métaphore culinaire afin de digérer la semonce d'une rupture amoureuse et ne pas courber l'échine. Il y a encore l'échappée froide, powerful et sexy d'un Don't speak au texte aussi frontal que vachard, le minimalisme habillé de vocoder au sujet de l'addiction à l'alcool d'un proche (Silence, titre dans lequel elle retrouve les frères Salah, fidèles alliés des débuts). Il y a enfin la chanson éponyme de l'EP, ballade attrape-coeur enregistrée dans l'urgence d'une session studio à Berlin et intensifiée par une voix qui ne trahit définitivement plus rien ni personne.
Ce Moment in time a bel et bien l'éclat décomplexé des nouveaux départs.