Après avoir tant chanté le mouvement de l'eau, celui de l'errance, le mystère fluctuant de la nuit, Schubert se fige dans l'immobilité du désespoir. Les vingt-quatre poèmes de Müller, qu'il découvre en 1827, le bouleversent, et lui, superstitieux, voit s'amonceler les preuves de sa dernière solitude. Juxtaposition de deux cahiers de douze lieder, le cycle finit par former un ensemble cohérent depuis l'ouverture de Gute Nacht au néant de Leierman qui le clôt. Il ne s'agit plus de l'adieu consolateur de la Belle Meunière, mais du piétinement sans espoir d'un autre univers où le présent est mort. Le narrateur est ' entré dans l'hiver, la nuit, la mort de l'âme '. Il dévide le récit d'un fantôme en errance. Ce n'est plus le suicide d'un jeune amoureux trompé, mais la prise dans les glaces d'un homme usé, fini, figé dans la solitude et la souffrance. Le pas du voyageur retentit dans tout le cycle, errant et piétinant et le rythme de marche lourd et fatigué se retrouve presque partout, thème unificateur de l'ensemble. Schubert parle à la première personne car il s'identifie complètement avec le ' héros ' du Voyage d'Hiver, et il trouve des résonances à son pessimisme et à sa douleur. Solitude, amour impossible, abandon de tous, désir de mort et de dissolution dans la nature, dans le linceul de la neige. Ruisseau glacé, corneille inquiétante semblant guetter la charogne, montagnes hostiles au lointain, feu follet spectre pour la perte du marcheur, marais, troncs d'arbre comme des pierres, hallucinations, nuit dévorante, voici les paysages figés qui cernent le voyageur. Tout est blanc dans cette œuvre, mais d'une multitude de blancs. La solitude avance dans un linceul blanc. La vie inutile clopine à côté. Dans ce voyage de la mort, la seule trace est la suite des pas du marcheur.
Winterreise D.911, Schubert. Compagnie Lyric & Co. Yves Vandenbussche : ténor. Thomas Malet : piano.
|