L'exposition À la vie, à l'amor, première monographie de Miss.Tic, disparue en mai 2022, célèbre toute la force poétique de son œuvre.
Pionnière de l'art urbain français, elle est avant tout poétesse dans la cité. C'est un véritable projet littéraire, sociétal et philosophique qu'elle nous offre, inscrit à l'encre aérosol sur les murs, les toiles ou les tôles, durant plus de quarante ans.
"Saisir dans l'éphémère / le désordre d'un graffiti / l'éternel défi d'exister" C'est l'un des premiers aphorismes inscrits par Miss.Tic sur les murs de Paris au début des années 1980, et celui qui raconte peut-être le mieux son œuvre : le désir d'exister sans cesse renouvelé, le jeu vertigineux du temps, de la trace et de l'éphémère, le questionnement permanent, sur les murs de nos villes, de notre mode d'existence. Figure incontournable du mouvement des pochoiristes français et issue du théâtre de rue, Miss.Tic est avant tout poétesse. C'est un véritable projet littéraire, sociétal et philosophique qu'elle inscrit à l'encre aérosol au cœur de l'urbain. Elle n'aura eu de cesse, durant quarante ans, de marteler les mêmes idées – pas d'idéaux / juste des idées hautes, écrit-elle – à travers un triptyque toujours identifiable mais en perpétuel renouvellement : aphorisme, figure, signature. Si Miss.Tic, disparue en mai 2022, est l'une des pionnières de l'art urbain en France, elle ne s'y limite pas. L'artiste exprime sa rage, ses désirs, son humour, son urgence d'exister à travers une pratique protéiforme, du dedans et du dehors, en ville puis en galerie, sur les murs, la toile, le papier, la soie ou la tôle. La rue restera néanmoins jusqu'au bout le lieu privilégié d'un mode d'expression, d'exposition et d'éducation populaire dont l'accès est immédiat – pour elle comme pour les publics. Intime et éminemment politique, son œuvre souffle un air de révolte. Sous des airs légers, parfois provocateurs, Miss.Tic pose des questions graves, profondes, force au doute, à l'élévation, à l'imaginaire et au désir. Elle place au centre de sa pratique le langage, la force des mots et le pouvoir de la parole dans une société inégalitaire et violente, qu'elle rêve de transformer. Avec elle, la poésie est à la fois outil de lutte et prisme de lecture de la ville, de la cité et de l'existence même. Au cœur d'un espace public – et d'une histoire de l'art –dominés par les hommes, Miss.tic engage une mise en jeu du corps : le corps de l'artiste, d'abord, en action dans la ville, et les corps qu'elle représente, corps de femmes pour la plupart, corps normés, détournés des pages de magazines féminins ou des supports publicitaires dont elle s'approprie les codes formels et rhétoriques. Dans un saut de l'illicite vers le licite, l'artiste pose des décennies durant la question du centre (la rue, les gens, la ville comme musée à ciel ouvert) et de la marge (le ' gratin ' de l'art contemporain, ses galeries aux néons blancs et ses prix indécents). Artiste éminemment populaire, elle incarne une forme d'anti-snobisme parisien et a gagné, au prix de longs efforts, une place centrale au sein d'une histoire de l'art en train de s'écrire, décomplexée, inclusive et audacieuse, à laquelle cette exposition entend contribuer. Quoi de plus éloquent alors qu'une première monographie et exposition posthume au Palais des Papes, à Avignon, pour celle qui n'eut de cesse de célébrer la puissance poétique des lieux, de prôner le populaire face à l'élite, de braver, transgresser l'ordre établi ? Une ultime provocation, peut-être, un dernier pied-de-nez à l'histoire et au pouvoir, dans un lieu de la puissance politique, religieuse et militaire devenu symbole populaire de culture, de spectacle et de célébration.
Camille Lévy-Sarfati Janvier 2024
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